jeudi 30 octobre 2008

Le chemin

Juste avant le congé de Toussaint, je me suis rendu en visite à l'école pour revoir mes collègues et apporter quelques dictionnaires qui encombraient mes armoires: ils se rendraient plus utiles aux élèves, en classe.
Outre ce moment privilégié de veille de vacances, le vendredi midi est, en général, un moment calme, sans les surveillances des autres midis, nous l'avions d'ailleurs choisi depuis quelque temps pour partager un gâteau entre nous. Probablement le seul moment où nous pouvions nous retrouver, l'institution scolaire n'ayant jamais prévu la nécessité de faire de réunion d'équipe, nous le faisions informellement et de façon conviviale.

Me voilà donc à retrouver ce chemin tant de fois parcouru. La gare de mon village, les correspondances et ces escaliers, ces couloirs, ces quais tant de fois arpentés, la petite gare à 10 minutes de l'école et le reste parcouru à pied... comme d'habitude!
Je retrouve des tas de souvenirs, ces petites rues d'un quartier cossu puis l'avenue Circulaire qui borde le parc du domaine de l'Observatoire, cette belle avenue que j'ai pu voir dans tous ses états: sous la pluie, dans la nuit, à l'aube ou déjà ensoleillée selon les saisons. J'y ai si souvent croisé les mêmes joggueurs, la même étudiante qui déboulait d'une rue de traverse en allumant sa cigarette, quelques chats dont un, horrible souvenir, s'est fait écraser devant mes yeux et, autre victime de la route: un renard écrasé au milieu de l'avenue; mais aussi, infiniment plus léger, le souvenir des écureuils se jouant de la pesanteur et courant sur le tronc des arbres aussi facilement que sur les branches puis sautant agilement d'un arbre à l'autre. A la fin de l'hiver, le martèlement du pic épeiche qui résonne dans les profondeurs du parc.
J'y ai senti des odeurs d'humus, de champignons, de plantes non identifiées ou identifiées comme le très caractéristique ail des ours.
J'ai vu des ciels superbes, la Lune sous tous ses aspects, de majestueux vols de hérons...
Ainsi, la route du travail peut recéler de véritables cadeaux qui éclairent, sinon la journée, au moins les premières heures.
Le plus beau souvenir date un peu: les astronomes prévoyaient une pluie d'astéroïdes à une date donnée mais une pluie telle que – disaient-ils - ce moment était proportionnellement à « la nuit des étoiles » comme un feu d'artifice comparé une luciole. En me levant, la veille, mon regard tombe sur une étoile filante puis une autre et encore une. C'était fantastique, je n'en avais jamais vu autant! Après ma douche, c'était toujours la fête, là haut... Je prends le chemin de l'école, ça continue. Les astronomes s'étaient trompés d'un jour et je suis un des privilégiés à avoir profité de l'événement. Aucun collègue n'avait rien remarqué. Le lendemain, date officielle, il n'y avait plus rien à voir.

J'ai rarement pu partager ces plaisirs. D'abord parce que je faisais ce trajet seul et puis parce que mes collègues ne semblaient pas partager le même chemin que moi ni le même ciel.
Pas de hérons, dans leur monde ni ail des ours ni croissant de lune; pas de pic épeiche, pas d'écureuil, pas d'étoiles. Eh bien, vous me croirez ou non, mais je préfère mon monde au leur!


Les trois photos ont été prises avenue Circulaire:
  • un banc chaque année envahi d'herbes folles;
  • lever de soleil sur l'avenue;
  • champignon attaquant un arbre. Ce dernier s'est abattu un an et demi après sur la maison devant laquelle il était, rongé à la base par les champignons
On peut cliquer sur les photos pour les voir en grand format

vendredi 10 octobre 2008

Le Vilain Petit Canard

(cet article fait suite au précédent)

C'était une de nos élèves de deuxième. Une véritable petite peste!
Elle avait un caractère de cochon: arrogante, méchante, blessante...
Elle a raté son année et, Comme nous ne ne savions pas quoi faire d'elle et de son dossier disciplinaire épais comme un annuaire, elle fut mise à la porte.
L'année suivante, dans une autre école, elle ne fait pas mieux.

La dernière fois que je l'ai vue, peu après son départ de chez nous, elle était donc dans son autre école mais un matin, elle est revenue dans la classe des ses copines, chez "nous" pour chahuter et, surveillant la sortie, je lui dit, une fois de plus, en la voyant sortir la cigarette à la main, qu'on ne peut pas fumer dans l'école; elle me répond "Ta gueule, t'as plus rien à me dire, je ne suis plus dans cette école de merde."

Après ses deux deuxièmes, elle suit une filière d'enseignement/stage mais ne garde son emploi que deux ans, toujours aussi invivable et exigeante vis à vis de son employeur.
Que peut-on bien faire avec quelqu'un comme ça?
Que pourrait-elle devenir?

Il y a quelques semaines, je reçois une demande d'amitié sur Facebook. C'est elle.
Elle a 20 ans maintenant. Elle n'a qu'un CEB: un Certificat d'Étude de Base, c'est à dire un papier qui atteste qu'elle a réussi ses études ...primaires.

Elle me raconte son parcours dans de longs messages avec une belle langue et sans faute d'orthographe. C'est un plaisir de la lire, non seulement pour la fluidité de son expression mais surtout pour son histoire. Je ne suis plus du tout en face de cette enfant insupportable mais devant une jeune femme qui me parle d'elle – la petite fille - presque comme d'une autre personne avec une maturité que beaucoup pourraient envier, avec une belle clairvoyance.
De plus, elle porte encore le fardeau de la honte par rapport à cette petite chipie qui n'a pourtant plus rien à voir avec l'adulte qu'elle est devenue.
Que s'est-il passé? Je l'ignore si ce n'est qu'un jour elle a eu un déclic, elle s'est rendu compte qu'elle n'arriverait nulle part, qu'elle se sabotait elle-même et elle s'est extirpée de cette exécrable gamine. J'ignore encore si cette seconde naissance fut aisée ou le fruit de grands efforts mais le résultat est spectaculaire et son rêve serait d'arriver à se réinsérer dans le circuit des études pour avoir un diplôme de psychologue afin d'aider ...les jeunes!

Je ne dis pas tout ce qu'elle m'a confié, je voulais juste évoquer ce contact qui est un des plus beau et émouvant que Facebook m'ait offert. En y pensant, je songe aussi à A. dont je parle au début du blog: A. a aussi connu ce moment particulier, ce déclic où tout bascule et où la révolte, la colère, l'agressivité ou l'opposition et la provocation font place à un comportement plus harmonieux, plus juste.

Nous avons tous probablement connu chez nous-même ces sauts de maturité; pour certains, cela se fait tout en douceur, chez d'autres tout d'une fois.


Cela me fait penser à des cas plus dramatiques et notamment à ce jeune homme, Adam, qui en a tué un autre, Jo, pour lui voler son "MP3". Qui sait si lui aussi ne connaîtra pas ce déclic où ses yeux s'ouvriront sur l'horreur de son propre geste? Peut-être est-ce déjà arrivé avant même l'issue du procès. Ce n'est peut-être plus un meurtrier qu'on a jugé et condamné mais un repenti prêt à tout pour, à défaut de réparer l'irréparable, essayer de consacrer le reste de son existence afin que d'autres "Adam" évitent de se fourvoyer dans l'horreur.

L'histoire récente ne manque pas d'exemples de personnes qui ont eu soudain cette clairvoyance et sont sortis du "milieu" pour se consacrer à la jeunesse délinquante afin de lui ouvrir les yeux, pour extraire à leur tour un maximum de ces jeunes de la petite ou grande criminalité avant qu'ils ne commettent l'irréparable.


Dans mes dernières lectures, j'ai trouvé de tels exemples: Matthieu Ricard cite ce dangereux repris de justice soudain animé de compassion au cours de son incarcération et puis Patrick Henderickx , dans ses récits autobiographiques: « Les Trois marches » et « Parole Donnée » se montre lui-même un repenti

Je remercie la personne principalement concernée par cet article de m'avoir permis d'évoquer son histoire sans même désirer changer une virgule

Facebook

Certains de mes collègues s'étaient fait membre de la grande communauté Facebook. A en parler, ils ont éveillé ma curiosité. Je me suis inscrit il y a quatre mois sans trop savoir l'intérêt de le faire sinon, par exemple, de voir les photos du bébé d'une collègue.

Pour ceux qui ignoreraient encore en quoi consiste Facebook, disons pour résumer que c'est un site où on s'inscrit sous son vrai nom. D'anciens amis peuvent donc vous retrouver et vous-même en retrouver, il faut alors faire la démarche de proposer votre "amitié" et si l'autre accepte, vous faites partie de leur cercle d'amis, vous avez accès aux données qu'ils veulent bien laisser sur l'Internet: goûts artistiques, école fréquentée, opinion politique ou religieuses, différentes choses qui les caractérisent ou rien du tout; des photos, aussi...
J'ai moi-même retrouvé d'anciens amis dont j'avais perdu la trace depuis des années avec grande joie. Facebook est un bel outil.

Je suis donc devenu l'ami de quelques collègues puis des élèves de l'école et des anciens m'y ont vu et ont commencé à me demander également d'être leur ami. Et ça n'arrête pas.

Voilà donc que, depuis quelques semaines je suis submergé d'"amitié" d'élèves et d'"anciens" qui me témoignent leur sympathie et cela fait chaud au coeur de lire, pour certain leur reconnaissance de ce que je leur ai apporté et qui dépasse ce que je pouvais soupçonner. Mon épouse a trouvé la formule: "cela donne un sens à ma carrière" et je leur témoigne ma gratitude pour me l'avoir exprimé avec tant de chaleur.

D'un autre côté, ces contacts prolongent la relation scolaire, celle qui s 'arrête si abruptement une fois... notre "mission" remplie, après la rhéto pour la plupart d'entre eux, quand cela commence à devenir réellement passionnant.

Je retrouve donc des étudiants qui poursuivent leur voie (pas toujours très linéaire, mais qui se rapprochent alors de leur vocation plus authentique) D'autres se trouvent déjà plongés dans leur vie professionnelle. Certains ont des parcours prestigieux d'autres modestes mais ce n'est pas cela qui fait la valeur de l'homme ou de la femme qu'ils sont devenus et je vous parlerai peut-être bientôt avec autant de sympathie et d'admiration d'un réalisateur de long métrage que d'une employée de supermarché qui, tous deux, ont pris contact avec moi.

mercredi 3 septembre 2008

Le "caractériel" (!)

C'était en 1982 ou 83. Je travaillais dans un athénée renommé d'un quartier aisé de Bruxelles. Dans cette école la discipline n'était pas un gros souci mais, comme partout, nous devions quelquefois remettre les pendules à l'heure avec certains élèves.

Cette fois-ci, c'était C. qui avait dépassé les bornes. Était-il agressif? Odieux? Irrespectueux? Vulgaire? Un peu tout cela? Je ne sais plus, il y a 25 ans... Mais je me rappelle très bien avoir été le trouver et après mes remarques, avoir entendu cette réponse que je n'oublierai jamais: "...mais c'est normal, je suis caractériel"

Fantastique! Tout s'explique: Monsieur est caractériel! Et bien sûr, dès lors, il faut accepter que Monsieur soit colérique, violent, irrespectueux, imprévisible, grossier, vulgaire... c'est normal: il est caractériel!

Voilà une étiquette bien pratique qui lui permettra de rester toute sa vie un handicapé social déresponsabilisé des bêtises qu'il pourrait commettre ou dire.


Nous avons tous nos qualités (nos facilités) et nos défauts (petits ou gros handicaps) et notre responsabilité n'est pas vraiment engagée dans ce que nous avons reçu à notre naissance mais, saperlipopette! notre responsabilité est franchement engagée en ce qui concerne notre évolution dont nous sommes maîtres.

Et je suis quelque peu perplexe face aux personnes qui lui ont permis de penser que LUI, C. EST caractériel plutôt que de lui dire qu'il avait un COMPORTEMENT de caractériel. Cette nuance lui aurait permis de s'attaquer plus facilement à ses faiblesses. On combat plus facilement ses défauts que soi-même!

jeudi 28 août 2008

Le Cadeau


Quelquefois, on s'attend à recevoir un cadeau mais c'est avec un peu d'appréhension qu'on se demande quel cadeau ridicule risque de se présenter et on s'inquiète d'avoir à faire bonne figure devant la généreuse personne qui, pleine de bonnes intentions, vous a choisi ce ramasse poussières un peu kitsch, cet objet inutile, ce livre inintéressant...

Dans "mon" athénée, il est de coutume que les collègues offrent un cadeau personnel aux grandes occasions: mariage, naissance, maladie de longue durée... et de départ à la (pré)retraite.

A quoi devais-je m'attendre?...

...à une fantastique surprise!

Les deux livres que j'ai reçu correspondent totalement à ma sensibilité philosophique, à des centres d'intérêt qui n'ont pas grand chose à voir avec l'école (quoique...) mais que mes collègues ont su percevoir. Ces livres, j'aurais pu les désirer si je les avais vu à l'étal d'un libraire. Mes collègues - ou, en tout cas leur délégué - les ont trouvés pour moi et me les font découvrir.

Ce cadeau prouve, s'il le fallait encore, qu'au delà des relations purement professionnelles, en arrière plan, se tissent d'autres relations tellement plus personnelles!

Je vous remercie sincèrement et chaleureusement pour ces cadeaux mais aussi, tout au long de ma présence parmi vous pour ces instants fugaces d'une parole attentionnée, d'un regard complice, d'un partage, d'un geste bienveillant, tout cela qui rend plus léger la journée de travail et la carrière.

P.Z. En ce dernier jour de carrière


Pour info, je vois que ce "post" est daté de jeudi par "Blogspot".
Il a, en réalité, été déposé vendredi matin vers 8h
, mon dernier jour de travail à l'Athénée

vendredi 15 août 2008

Le vrai du faux

Pour continuer à propos de la triche, une élève (appelons-la «B.») me rappelle cette mésaventure qui lui est arrivée en première, il y a déjà quelques années.

Le néerlandais n'était pas son cours de prédilection et elle y éprouvait de sérieuses difficultés mais selon toute probabilité, B. était le genre d'élève dont la mémoire était un atout dans certains cas: elle a appris à peu près par cœur un texte travaillé en classe dans l'espoir qu'il lui serait utile d'une façon ou d'une autre à l'examen.

Elle répond donc tant bien que mal aux différents exercices puis arrive la rédaction. De mémoire, elle jette sur une feuille de brouillon le texte vu en classe pensant pouvoir en utiliser la structure, même, peut-être, des phrases entières, pour reconstituer un semblant de rédaction qui puisse lui rapporter quelques points. Comme je le disais: en néerlandais, B. est plus à l'aise dans la restitution que dans la création.

Mais voilà que le surveillant-éducateur qui surveillait... c'est à dire un certain Papa.Zoulou. en ramassant les copies, constate la présence d'une feuille un peu bizarre dans le bloc de B. Il y regarde de plus près et voit qu'il s'agit d'un texte qui n'a pas vraiment de rapport avec l'examen: ce n'est pas le sujet de la rédaction, la couleur d'encre était même différente, si mes souvenirs sont exacts. Bref, cela ressemblait furieusement à une feuille qu'on aurait glissé là pour l'utiliser pendant l'examen, comme font tant d'élèves peu scrupuleux.

C'est donc convaincu par cette interprétation des faits que je ramasse les feuilles de B., l'examen et, bien sûr la feuille litigieuse, pour les remettre au professeur avec mes commentaires (j'ai toujours laissé le professeur décider du tarif des sanctions, lorsque je surveille).

B. est désespérée, elle m'explique, insiste, ne sais plus quoi faire pour me convaincre et à bout de ressources, pleure devant le déshonneur de l'échec cuisant prévisible.


C'est bien simple: je me trouve si souvent en face d'élèves qui nient l'évidence alors que ce que j'ai vu ne prête absolument pas à confusion, quand, p.ex. j'ai vu un échange de feuilles, que je constate la différence d'écriture et remonte à l'auteur de la feuille retrouvée chez un autre. Ou à la récréation: «Ce n'est pas moi qui ai jeté ça par terre / qui ai craché...» ...ou encore à l'étude quand je demande le silence, l'élève que je vois et entends clairement «mais non, Monsieur, je ne parle pas!»

A la faute quelquefois bénigne s'ajoute le mensonge et l'élève se décrédibilise. D'ailleurs, il est peu «psychologue»: il ne fait qu'énerver le prof ou le surveillant qui risque de le sanctionner davantage.

Mon premier réflexe a donc été de m'accrocher à mon interprétation des faits et de croire que B. me racontait des histoires pour sauver son examen.

Mais, quand même...

Je finis par douter. Et si elle était de bonne foi? Moi-même, quand j'étais élève, n'ai-je pas été victime de trompeuses apparences? Je retourne voir le professeur pour lui faire part de ma perplexité devant la version de B. finalement pas moins plausible que mon interprétation.

B. qui me rappelle cet épisode me dit que, finalement, ça s'est arrangé, son professeur l'a crue ou, à tout le moins, lui a accordé le bénéfice du doute. La façon dont B. me raconte l'anecdote aujourd'hui a achevé de me convaincre de sa bonne foi, mais pourquoi ais-je eu tant de mal à la croire, en ramassant son examen?


Ce sont les mensonges souvent assénés froidement les yeux dans les yeux qui me rendent d'office méfiant devant tout ce que peut me dire un élève. Non, je ne vous crois plus d'office et il est bien dommage que les élèves honnêtes pâtissent ainsi de l'attitude d'autres qui n'hésitent pas à me faire avaler leurs salades... enfin qui essayent!

vendredi 8 août 2008

Interrogation écrite!

Il m'a assez souvent été demandé de surveiller des examens ou des interrogations écrites voire même être assesseur à des examens. Le souvenir le plus insolite est celui de cet oral de Français à la lueur des bougies, un matin de décembre: le jour n'était pas encore levé et la panne électrique du local pas encore résolue. Quelle belle ambiance pour évoquer les Romantiques!


En ce qui concerne les écrits, c'est franchement ennuyeux. Je peux essayer de repérer les gauchers et les compter: deux ou trois par classe, les statistiques se vérifient mais cela ne remplit pas les deux heures d'un examen voire la matinée...

Une tâche importante est d'empêcher les élèves de tricher. Un jeu où la vigilance de l'un doit déjouer les ruses des autres.

J'ai donc essayé de donner aux élèves honnêtes la conviction que la triche ne paye pas, pour cela il me fallait empêcher les manœuvres louches et il est délicat de faire la part des choses: un regard de côté est souvent une curiosité de voir si le voisin s'en sort aisément, un peu plus appuyé, cela peut être une «recherche d'inspiration»! Mieux vaut prévenir que guérir et éviter les situations ambiguës d'une feuille un peu trop au milieu de la table, par exemple.

Les techniques ne manquent pas, j'ai moi-même été témoin d'échange de papiers (échange de brouillons, de petits coins déchirés, jusqu'au jet hardi d'une boulette de papier; cours ouverts sur les genoux, feuilles de cours sous la feuille d'examen ou parmi les feuilles destinées aux brouillons, feuille de brouillon couverte de notes à peine lisibles au crayon dur, jusqu'au petit résumé miniaturisé. Dans ce cas, notons les progrès de la technique qui permet, via la photocopieuse ou l'imprimante, de les réduire à souhait tout en les multipliant à l'envi pour les copains; encore faut-il pouvoir les utiliser adroitement et les faire disparaître à la première alerte. A ce propos, je me rappelle cette élève «imbuvable» qui, en me voyant venir, a fait disparaître son «copion» derrière sa ceinture, carrément dans son slip avec une attitude de défi comme pour me dire « ...et là, vous viendrez le chercher? »

Souvenir plus récent: cette fille de rhéto parmi une soixantaine d'élèves dans un grand local, surprise au téléphone en plein examen de physique: « C'est ma maman » me dit-elle ingénument tout en s'accrochant à son GSM s'offusquant que je puisse vouloir le lui confisquer.

Il va de soi que je n'incite personne à en faire autant, si je vous le raconte, c'est parce que j'ai pu surprendre ces quelques faits (et je ne les cites pas tous)

Quand je tombe sur un fait de tricherie, que je ramasse une preuve compromettante ou que je dis que je rapporterai les faits au professeur dont je surveille l'examen, il n'y a aucune agressivité dans mon expression, «tu as essayé, ça a raté»; parfois même un peu d'humour émaille mes propos sans doute pour désamorcer la gravité de la situation mais j'ai sincèrement de la peine de voir la détresse de celui ou celle qui mesure les conséquences tragiques que ses actes auront sur l'évaluation de son travail. Même si j'ai essayé de ne rien en laisser paraître, j'ai souvent eu le cœur touché devant les supplications, les promesses de ne plus recommencer, les larmes...


D'un autre côté, j'admets fort bien avoir pu laisser passer nombre de tentatives réussies. Allez, vous avez terminé, moi, je ne suis plus dans l'enseignement, vous pouvez bien me confier une anecdote où vous pouvez vous vanter de m'avoir bluffé!

C'est à vous d'évoquer vos souvenirs!

mercredi 30 juillet 2008

Carte postale

Carte postale peut-être pas esthétique... Mais cela m'a fait sourire.

J'ai capturé cette image en vacance dans le Jura (Dépt 39) dans le parking d'une grande surface. Manifestement cette enseignante était appréciée par ses élèves de « 2de 3 » (nous dirions 4e C), par contre l'histoire ne dit pas si elle a aimé leur façon d'exprimer leur appréciation, fut-elle aussi flatteuse.

dimanche 13 juillet 2008

Rencontre

C'était ce 2 juillet sur le quai de la gare d'Ottignies.
Je vois venir vers moi un visage vaguement familier. Je dois vous avouer que ma mémoire est lente, surtout pour exhumer l'un ou l'autre élève parmi les milliers que j'ai vu passer tout au long de ma carrière. Je dois farfouiller dans toutes mes archives neuronales et avec l'ordre que j'ai ça me prend un certain temps (euh... un temps certain!)
C'était A. Je ne l'ai vue que pendant une année: sa première. Elle doit me rafraîchir la mémoire puis m'explique qu'elle ne fait plus de bêtises depuis que ses dernières frasques, plus une accusation pour vol de professeur (un jour où elle était absente!!!) lui ont valu une mise à la porte de son établissement scolaire.

Je suis devant une jeune fille de 15 ans habillée de noir, jusqu'au ongles, un piercing dans la langue qui brille quand elle rit. Elle est calme, plutôt enjouée et on sent chez elle une certaine personnalité, mais je ne sens pas l'ombre d'une sournoiserie et, selon mes souvenirs elle n'a jamais été malhonnête.

Elle me dit donc qu'elle a décidé de ne plus faire de « bêtises ». Et en cela me précise avoir bien changé.
...elle a « changé »... ? ? ?
Cela m'a laissé perplexe.
Moi, je la retrouvais pareille et elle me dit avoir changé.
Elle me le confirme, insiste et ajoute également en être contente.
Manifestement, pour elle, il y a eu un changement radical tandis qu'à mes yeux, non. Pourquoi cette divergence de vue?

Son comportement « limite » (fumer des choses illicites, p.ex.) était-ce vraiment elle, comme elle le pense, ou seulement une recherche, une transgression, un essai...?
Selon ma façon de voir, on peut effectivement abandonner un comportement inapproprié, inharmonieux sans vraiment changer ce qu'on est réellement. Parce qu'A. me semble avoir acquis dès l'enfance des repères clairs et n'a pas la moindre ombre de perversité en elle. Fondamentalement, je suis persuadé qu'elle est une jeune fille mûre, saine. Et c'est justement pour ça que, lorsqu'elle a fait «des bêtises», elle a su réagir et retrouver le juste fil; et c'est encore très probablement pour ça qu'elle en est satisfaite, parce son comportement se rapproche davantage de ce qu'elle est réellement parce qu'il est plus harmonieux, plus juste, plus vrai....

Pour moi, ce n'est pas elle qui a changé, c'est juste quelque chose dans son comportement, dans sa façon d'agir, dans ses choix.
On a toujours l'occasion d'aller chercher le meilleur en soi, c'est un choix...

Vivre en accord avec sa vraie personnalité, c'est tellement plus facile mais cela nécessite de se connaître et, ça, cela prend du temps!

A, continue comme ça, deviens toi-même, découvre encore davantage, et fais-nous découvrir, ton authentique personnalité.
Bonne année, dans ta nouvelle école.

samedi 5 juillet 2008

Les réflexions et les adieux d'un surveillant-éducateur

Effectivement, la rumeur courait depuis un certain temps

Des raisons personnelles et familiales m'ont encouragé à y songer mais de là à faire le pas... J'ai hésité, je ne le cache pas mais voilà, c'est fait, je serai « pré-retraité » et ne retournerai pas à l'école en septembre. Je m'en vais mais non sans regret.

Certes, mon travail de surveillant-éducateur ne manque pas de côtés rebutants, je pense à certaines tâches administratives fastidieuses ou à certains d'entre-vous, adolescents « rebelles », qui vous mesurez à l'autorité, vous qui essayez de nous embobiner avec vos « vérités », vous qui préférez gaspiller votre énergie (et la nôtre) en sabotage en une guerre d'usure dans laquelle, si vous pensez être quelquefois gagnants, ce n'est qu'illusion.

Néanmoins, j'ai quelquefois eu la satisfaction de penser que j'avais été là, au bon endroit, au bon moment avec l'intuition de la parole juste, celle qui aura permis une prise de conscience importante chez mon interlocuteur. Plus modestement, j'ai aussi, combien de fois, pu remettre du baume au coeur de l'un d'entre-vous blessé par une parole trop vive d'un professeur (souvent lors d'une exclusion de cours.) ou une parole maladroite. J'espère que mes collègues auront aussi pu rattraper l'une ou l'autre éventuelle maladresse que j'aurais pu commettre.

Autres aspects agréables: ce sont les bonjours, les sourires, sans oublier la compréhension affichée par la majorité devant mon rôle pas toujours confortable consistant à invalider certains motifs, à comptabiliser des absences et des retards, à les sanctionner. Devant nos erreurs également, puisque dans la somme de facteurs intervenants dans cette comptabilité, il s'en glisse quelquefois sournoisement l'une ou l'autre.

Depuis que la rumeur de mon départ circule, je reçois des témoignages de sympathie qui me font vraiment chaud au coeur et je garderai comme pièces à conviction de votre sympathie ici une carte pleine de signatures et de cordialité, là quelques dessins récoltés tout au long de ma carrière (je pense en particulier à ma « collection » de caricatures!), je pense aussi à tous ces bisous de fin d'année, ceux de ce dernier vendredi de cours pour la 6C, trésors bien éphémères... à moins de les enfermer dans le coffre de mon coeur.

Merci pour tout cela et tant d'autres petites perles...

Et puis, il me restera aussi des souvenirs de l'un ou l'autre d'entre-vous que le hasard de circonstances particulières m'aura permis d'approcher plus personnellement, ceux aussi dont je me souviens de leur première à leur rhéto(*). Il y a ceux qui m'auront surpris par leur talent pas toujours scolaire: talent musical, talent de dessinateur, par leur propos d'une sagesse et d'une réflexion inattendue pour des « adolescents ». A ce propos, je dois avouer qu'il y a même eu une élève devant laquelle j'étais carrément intimidé ou mal à l'aise mais fasciné tant sa maturité à 16, 17 ans semblait dépasser celle de ses condisciples et même de nombre d'adultes.

Ma carrière dans l'enseignement m'aura en tout cas permis de voir que la maturité, vous la gagnez souvent – heureusement, pas toujours – au prix de difficultés personnelles, vous l'acquerrez à travers une réflexion forcée pour comprendre et dépasser un mal-être, des difficultés; cela vous amène à observer la nature humaine et à comprendre tant de choses... (pourquoi si peu d'entre-vous hésitent à rencontrer le PMS, bel outil gratuit, à votre disposition, qui pourrait vous aider à comprendre plus rapidement la dynamique des relations familiales ou des réactions humaines auxquelles vous êtes confrontés?)

J'ai été sensible au désarroi que semblent vivre certains d'entre-vous pour avoir moi-même été dans l'abattement à la fin de mon adolescence. Je ne pouvais que mieux imaginer le poids que certains portent des semaines, des mois durant.

J'en ai vu ainsi traîner leur triste humeur tout le long de nos couloirs et cela me désolait mais heureusement, j'en ai vu d'autres résolument optimistes, enjoués et souriants et leur saine gaieté me réjouissait.

Il m'arrivait quelquefois (et cela m'arrivera encore) de fixer l'un d'entre vous, le premier qui passait devant moi et de me dire, fasciné: « Voilà tout un Univers »

Ce qui me fascinait quand je vous regardais, c'était, non seulement de me trouver devant tout ce que vous étiez déjà, votre sensibilité, vos peines et vos espoirs, toutes les chutes et toutes les victoires quotidiennes... tout! Et c'est énorme! ...mais aussi devant votre potentiel encore non réalisé. Tout est déjà en vous, les gênes qui seront ceux de vos enfants, les valeurs que vous incarnez et qui feront vos caractéristiques adultes, votre intelligence, votre mémoire, ce puissant outil qu'il reste encore à garnir de quelques connaissances et observations. Tout est là, devant moi mais ni vous ni moi ne savons encore comment cela va s'épanouir. Voilà pourquoi cela me réjouit tellement quand je vois un(e) ancien(ne) venir à ma rencontre serrant la main d'un enfant et me dire: « voilà mon petit garçon, j'ai tel emploi... » ainsi vous n'êtes pas condamnés à rester d'éternels adolescents, vous me montrez aussi quelquefois votre avenir. (Ne m'en voulez pas de ne pas vous reconnaître spontanément si nous nous croisons: c'est que j'ai tellement vu de visages et de noms que ma mémoire en est saturée et déclare souvent forfait!)

Par contre, je conçois que vous soyez angoissés par le futur, souvent d'ailleurs, c'est l'angoisse de vos parents qui résonne en vous, eux qui ne souhaitent que le meilleur pour vous.

Les parents, ils font ce qu'ils peuvent...

« Les gens font ce qu'ils peuvent » m'a dit un jour mon épouse pendant une conversation. Je n'oublierai jamais cette phrase qui donne à tous le droit à l'imperfection, à l'erreur. Aux autres, mais pas à soi: que ce ne soit pas l'occasion de complaisance envers soi! Nous avons à cultiver nos qualités mais aussi corriger nos défauts, pallier nos faiblesses. Personne n'est parfait, un parent, un ami, un collègue vous déçoit? Chacun a le droit à l'erreur, pardonnez-lui, vous aussi, vous ferez peut-être preuve de maladresse un jour...

Nos élèves ont l'âge où toutes les questions se posent et ils n'ont encore aucune réponse! Vais-je trouver le partenaire idéal? Vais-je réussir mes études? Vais-je trouver un emploi?... Oui, vu comme ça, c'est angoissant! Alors, faites autrement. Dites-vous que la vie est assez courte comme ça, ne vous projetez pas dans cette perspective d'un futur où toutes les questions se télescopent et s'écrasent les unes sur les autres, vivez aussi votre présent. Les difficultés, s'il y en a, se présentent les unes après les autres et vous aurez bien assez le temps de les résoudre chacune à son tour.

Si j'ai un conseil à vous donner, c'est celui de ne pas vouloir trouver de réponse tout de suite, ah! impétueuse jeunesse! Vivez le présent, ne soyez pas impatient, les questions sont là, laissez le temps apporter les réponses; restez ouverts, simplement... c'est en restant ouverts et attentifs que vous verrez passer ces réponses, peut-être d'ailleurs certaines arriveront avant même que vous n'ayez pu formuler la question.

A ce propos, je voudrais vous dire un secret: « Le secret du bonheur, c'est... se connaître! » C'est tout bête, mais ça prend des années. C'est souvent à travers les autres qu'on prend conscience de ce qu'on est mais qu'on n'a pas encore réalisé, des valeurs qui ont été étouffées ou sont restées enfouies en soi. Il suffit que quelqu'un nous les montre. Quand on se connaît vraiment, quelle stabilité, quelle sûreté, quelle sérénité cela procure.

Nous avons besoin des autres. Nous sommes à la fois tous différents et tous pareils!


Vous rendez-vous compte de ce curieux phénomène: la distance de vous à moi est plus grande que de moi à vous.

Ce n'est pas très mathématique (ou physique) mais c'est réel: pour moi, l'enfance, l'adolescence et l'âge adultes sont démystifiés. J'en ai connu toutes les étapes. Pour vous, l'enfance: OK; l'adolescence, ben... elle est peut-être encore trop proche pour ça, quant à l'âge adulte – que je représente – c'est l'inconnu, pour vous. Je suis passé par ces stades, j'ai moi-même des enfants et déjà des petits enfants. C'est pour cela que je quitte des élèves qui pour moi sont de jeunes personnes attachantes que je ressens si proches et que j'ai aimées un peu comme mes enfants – les miens ont presque la trentaine – ...en moins fort, bien sûr, mais quand même et certains que je voyais nous quitter, à chaque fin de rhéto, ceux que j'avais suivi depuis plusieurs années, depuis la première, parfois, je les voyais partir non sans un brin d'émotion.

Maintenant, je vous quitte tous, l'émotion n'en est que plus intense.

Vous m'avez souhaité une heureuse (pré)retraite mais vous, vous avez toute une vie devant vous, c'est surtout à moi à vous présenter mes voeux: qu'elle soit riche, pleine et heureuse!

P.Z.

Villers la Ville, le 22 juin 2008


(*) pour les lecteurs non belges, l'enseignement belge se compose de deux tranches de 6 années: l'école « primaire » ou « fondamentale » de 6 à 11 ans et l'école secondaire: l'athénée, de 11-12 ans à 17-18 ans (sans parler des redoublants dont j'ai fait partie, dois-je l'avouer?) La 6e et dernière année s'appelle la « rhétorique ».