vendredi 10 octobre 2008

Le Vilain Petit Canard

(cet article fait suite au précédent)

C'était une de nos élèves de deuxième. Une véritable petite peste!
Elle avait un caractère de cochon: arrogante, méchante, blessante...
Elle a raté son année et, Comme nous ne ne savions pas quoi faire d'elle et de son dossier disciplinaire épais comme un annuaire, elle fut mise à la porte.
L'année suivante, dans une autre école, elle ne fait pas mieux.

La dernière fois que je l'ai vue, peu après son départ de chez nous, elle était donc dans son autre école mais un matin, elle est revenue dans la classe des ses copines, chez "nous" pour chahuter et, surveillant la sortie, je lui dit, une fois de plus, en la voyant sortir la cigarette à la main, qu'on ne peut pas fumer dans l'école; elle me répond "Ta gueule, t'as plus rien à me dire, je ne suis plus dans cette école de merde."

Après ses deux deuxièmes, elle suit une filière d'enseignement/stage mais ne garde son emploi que deux ans, toujours aussi invivable et exigeante vis à vis de son employeur.
Que peut-on bien faire avec quelqu'un comme ça?
Que pourrait-elle devenir?

Il y a quelques semaines, je reçois une demande d'amitié sur Facebook. C'est elle.
Elle a 20 ans maintenant. Elle n'a qu'un CEB: un Certificat d'Étude de Base, c'est à dire un papier qui atteste qu'elle a réussi ses études ...primaires.

Elle me raconte son parcours dans de longs messages avec une belle langue et sans faute d'orthographe. C'est un plaisir de la lire, non seulement pour la fluidité de son expression mais surtout pour son histoire. Je ne suis plus du tout en face de cette enfant insupportable mais devant une jeune femme qui me parle d'elle – la petite fille - presque comme d'une autre personne avec une maturité que beaucoup pourraient envier, avec une belle clairvoyance.
De plus, elle porte encore le fardeau de la honte par rapport à cette petite chipie qui n'a pourtant plus rien à voir avec l'adulte qu'elle est devenue.
Que s'est-il passé? Je l'ignore si ce n'est qu'un jour elle a eu un déclic, elle s'est rendu compte qu'elle n'arriverait nulle part, qu'elle se sabotait elle-même et elle s'est extirpée de cette exécrable gamine. J'ignore encore si cette seconde naissance fut aisée ou le fruit de grands efforts mais le résultat est spectaculaire et son rêve serait d'arriver à se réinsérer dans le circuit des études pour avoir un diplôme de psychologue afin d'aider ...les jeunes!

Je ne dis pas tout ce qu'elle m'a confié, je voulais juste évoquer ce contact qui est un des plus beau et émouvant que Facebook m'ait offert. En y pensant, je songe aussi à A. dont je parle au début du blog: A. a aussi connu ce moment particulier, ce déclic où tout bascule et où la révolte, la colère, l'agressivité ou l'opposition et la provocation font place à un comportement plus harmonieux, plus juste.

Nous avons tous probablement connu chez nous-même ces sauts de maturité; pour certains, cela se fait tout en douceur, chez d'autres tout d'une fois.


Cela me fait penser à des cas plus dramatiques et notamment à ce jeune homme, Adam, qui en a tué un autre, Jo, pour lui voler son "MP3". Qui sait si lui aussi ne connaîtra pas ce déclic où ses yeux s'ouvriront sur l'horreur de son propre geste? Peut-être est-ce déjà arrivé avant même l'issue du procès. Ce n'est peut-être plus un meurtrier qu'on a jugé et condamné mais un repenti prêt à tout pour, à défaut de réparer l'irréparable, essayer de consacrer le reste de son existence afin que d'autres "Adam" évitent de se fourvoyer dans l'horreur.

L'histoire récente ne manque pas d'exemples de personnes qui ont eu soudain cette clairvoyance et sont sortis du "milieu" pour se consacrer à la jeunesse délinquante afin de lui ouvrir les yeux, pour extraire à leur tour un maximum de ces jeunes de la petite ou grande criminalité avant qu'ils ne commettent l'irréparable.


Dans mes dernières lectures, j'ai trouvé de tels exemples: Matthieu Ricard cite ce dangereux repris de justice soudain animé de compassion au cours de son incarcération et puis Patrick Henderickx , dans ses récits autobiographiques: « Les Trois marches » et « Parole Donnée » se montre lui-même un repenti

Je remercie la personne principalement concernée par cet article de m'avoir permis d'évoquer son histoire sans même désirer changer une virgule

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